Entreprises familiales, la transmission, ça se prépare

 

 

Pour transmettre son groupe à un membre de sa famille, le dirigeant doit observer quelques règles de gouvernance pour que le passage de flambeau se passe au mieux.

Deux questions taraudent bien souvent les dirigeants d’entreprises familiales : « La société me survivra-t-elle ? Dois-je la transmettre à un membre de mon arbre généalogique ? ». Heureusement, il existe de nombreuses bonnes pratiques pour que le passage de témoin se fasse facilement.

L’envie d’avoir envie

Première étape, trouver la personne la plus apte à prendre la relève. « Il faut désigner celle qui a vraiment envie, sinon on ne va nulle part », affirme Philippe Grodner, président de l’antenne française du Family Business Network, réseau mondial présent dans 65 pays qui accompagne les entreprises familiales dans leur développement, leur gouvernance et leur transmission. Héritier de l’entreprise de lingerie Simone Pérèle, il en a confié la direction à l’un de ses fils, Mathieu, ce qui ne l’empêche pas d’observer « qu’être le fils de n’est pas une garantie ». Un avis partagé par Julien Lescs, cofondateur de Kimpa, family office spécialisé dans les entreprises familiales : « Si quelqu’un reprend le business parce que la soupe est bonne ou par facilité, les choses risquent de mal se passer. » Au contraire, le futur PDG doit avoir « les crocs », la volonté de changer les choses, de garder le meilleur de l’ancienne direction, tout en imposant sa marque. « En somme, il doit s’émanciper de l’ancien patron, se montrer inventif et en phase avec son temps », explique le spécialiste. Dans le cas contraire, l’entreprise fera probablement face à l’effet DIG, soit Disruptive Innovation Gap. Un scénario fréquent qui se déroule de la manière suivante : le père trouve un marché, le fils le structure mais sans le développer. Ce qui permet de faire grimper le chiffre d’affaires à court terme. Mais le manque d’innovation risque de mettre en difficulté la société à moyen terme.

« Etre un fils de n’est pas une garantie »

L’importance du mental

Très tôt, il est donc indispensable de former mentalement le successeur pour lui permettre de rester fidèle aux valeurs de l’entreprise, tout en se libérant de la figure tutélaire. Philippe Grodner, père de quatre enfants, a opté pour une technique originale : « Pendant dix ans mes enfants, leurs cousins et leurs conjoints se sont réunis entre eux avec des coachs externes pour parler du futur de Simone Pérèle sans moi. » De quoi permettre l’émergence de nouvelles problématiques telles que la vente en ligne ou la RSE. Les successeurs à la tête d’entreprises familiales sont contraints d’avoir un mental plus affûté que les PDG de sociétés « classiques ». D’une part, ils sont sans cesse comparés à un membre de leur clan. D’autre part, ce type de sociétés possède un fort ancrage territorial et est souvent implanté dans de petites villes où elles font vivre un nombre important d’habitants qui peuvent avoir grandi avec le patron.

Formation professionnelle

Au-delà de la préparation mentale, le successeur doit également se reposer sur des hard skills. Si la première génération a dans de nombreux cas un profil de self-made-man, il est fortement recommandé aux nouveaux de se former à la gestion, à la finance, au marketing ou au management. C’est le cas de Mathieu Grodner, diplômé d’une école de commerce puis de l’Insead. « Les plus perfectionnistes peuvent même suivre des cours dispensés par des chaires de family business« , constate Julien Lescs. Le diplôme c’est bien, l’expérience, c’est mieux. Quel est le meilleur cursus honorum pour un futur PDG d’entreprise familiale ? Doit-il se faire les dents ailleurs ? Doit-il tester toutes les fonctions, même les plus subalternes du groupe qu’il sera amené à diriger ? Les avis divergent. « Certaines chartes familiales stipulent noir sur blanc qu’un membre de la famille dirigeante doit avoir essayé des postes subalternes dans le groupe ou avoir travaillé quelques années ailleurs », note Julien Lescs qui estime que c’est une bonne chose : « Une expérience hors de notre zone de confort est un plus pour le futur patron qui gagne en ouverture d’esprit, en efficacité et en légitimité. » Le fils de Philippe Grodner a suivi cette formule à la lettre : début de carrière dans la banque et l’asset management, parcours dans l’entreprise du père et du grand-père pour en connaître les arcanes, redressement de filiales à l’étranger (Simone Pérèle réalise seulement 20 % de son chiffre d’affaires dans l’Hexagone). Puis prise totale des commandes. Une conséquence inattendue peut parfois survenir : l’héritier réalise une très belle carrière ailleurs et ne souhaite pas forcément revenir dans le giron de son clan : La pression est forte, les conditions de travail plus difficiles, le secteur pas à son goût. Dans ce cas-là, mieux vaut trouver un plan B car confier une direction à une personne peu motivée est l’une des plus grosses erreurs en matière de gouvernance.

Certaines chartes stipulent que le futur patron doit avoir travaillé ailleurs que dans l’entreprise familiale

 

De bons lieutenants

D’où l’importance d’intégrer dans le comité de direction ou dans des postes de cadres dirigeants des experts qui ne viennent pas du sérail. « Si une entreprise familiale est plus résiliente qu’une société classique, elle doit tout de même faire venir du sang neuf et s’attacher à la méritocratie« , glisse Julien Lescs qui, dans le cas contraire, pointe le risque d’une « sclérose interne« . Autre avantage à faire monter des « étrangers » à bord du poste de pilotage : assurer la transition si une génération choisit de passer son tour. Un mode de fonctionnement qui a fait ses preuves à plusieurs reprises. Hermès, entreprise familiale par excellence, a été dirigée de 2003 à 2014 par Patrick Thomas, un dirigeant sans aucun lien avec les fondateurs qui a finalement remis un groupe en bonne santé à Axel Dumas, actuel PDG issu de la lignée à l’origine de la création du groupe de luxe. De quoi donner du baume au cœur à un dirigeant qui s’inquiète de la suite : une transmission peut tout à fait sauter une génération.

Lucas Jakubowicz

Le Family Business Network, c’est : 17 000 membres présents dans 65 pays dont 10% en France. L’organisation organise près de 100 évènements par an dans l’Hexagone. Crédit photo Cyril Stallknecht.

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