Les entreprises familiales, un trésor économique que la France devrait préserver

 

Economie . Un discours manichéen tend à réduire les dirigeants familiaux à de simples "héritiers", tout juste bons à passer à la moulinette fiscale.

 

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Les entreprises familiales, un trésor économique à préserver.

 

Elles sont le coeur battant de nos régions. Celles qui écrivent, par-delà les décennies ou les siècles, les plus belles pages du génie français. D'après une note récente de la chaire de Dauphine PSL qui leur est dédiée, lesentreprises familiales représentent 60 % des entreprises cotées et 71 % des non cotées. Leur poids dans l'économie hexagonale est déterminant : au global, elles assurent 69 % de l'emploi, 67 % des ventes et 65 % de la valeur ajoutée.

"Derrière le terme d'entreprise familiale se cache une mosaïque de réalités, précise Johan Rivalland, directeur de la banque privée d'UBS France, mais quelques critères structurants permettent de tracer des contours précis. L'entreprise familiale se distingue généralement par la détention d'une part significative du capital par une ou plusieurs familles - le seuil de 50 % est souvent retenu pour les sociétés non cotées, et 32 % pour les sociétés cotées.

Au-delà du capital, le critère de contrôle - qu'il soit exercé par le biais du conseil d'administration, de la direction ou par une influence déterminante dans la stratégie - s'avère tout aussi essentiel." Troisième caractéristique : une première transmission à un membre de la famille ou, à tout le moins, le début d'une réflexion de cet ordre.

Le ciment du contrat social

Le temps d'un colloque organisé à Paris, au théâtre Marigny , ce 24 septembre, L'Express a voulu leur rendre hommage et rappeler que dans ces entreprises, la croissance ne s'envisage que sur le long terme. L'échelle de temps n'est pas le résultat trimestriel mais la génération suivante. L'ancrage historique dans un territoire participe à la préservation de l'emploi local. "Le capitalisme familial, lorsqu'il est respectueux et responsable, est le ciment du contrat social. On le caricature parfois en paternalisme. Mais il porte une vision du capitalisme à l'européenne, différente du modèle anglo-saxon, qui mérite d'être étudiée, comprise et mise à l'honneur", insiste Cécile de Lisle, directrice exécutive du centre académique nouvellement créé à HEC sur ce thème.

Chez Bpifrance, on l'a bien compris. Fin 2019, la banque publique a monté, en partenariat avec l'antenne française du Family Business Network, le plus grand réseau mondial de dirigeants familiaux, un accélérateur dédié à ces entreprises. "Les deux tiers des investissements en fonds propres que nous réalisons chaque année concernent des sociétés familiales qui n'avaient jamais ouvert jusqu'ici leur capital, souligne Nicolas Dufourcq, le DG de Bpifrance . A cette occasion, beaucoup de patrons nous demandent d'intégrer leurs enfants à ce programme." Le ticket d'entrée s'élève à 67 500 euros, financé pour moitié par Bpifrance et par l'entreprise, mais il s'amortit des deux côtés en 18 mois, le temps que dure la formation, assure Nicolas Dufourcq, grâce à la croissance du chiffre d'affaires qui en découle et, conséquemment, de l'impôt sur les sociétés.

La menace de la taxe Zucman...

Vertueux pour le PIB du pays, ce capitalisme intergénérationnel est aujourd'hui remis en cause par un discours manichéen qui tend à faire des entreprises, et de leurs dirigeants, des "profiteurs" d'argent public, perfusés aux aides et subventions en tout genre. Les plus riches d'entre eux se voient menacés d'une "taxe Zucman" ,châtiment qui relève plus de la morale que de l'économie. Les autres sont suspendus à une possible remise en cause du "pacte Dutreil", ce dispositif fiscal instauré en 2003 qui permet de diminuer de 75 % l'assiette taxable lors de la transmission d'une société, moyennant l'engagement du ou des héritiers de rester au capital pendant au moins 4 ans et d'assumer une fonction de direction.

La Cour des comptes planche sur un rapport susceptible d'ouvrir la voie à son détricotage, au grand dam des professionnels - notaires, fiscalistes ou chefs d'entreprise - qui alertent depuis des mois sur les conséquences désastreuses d'une telle opération de démolition. Au prétexte du redressement des comptes de la nation, dans un contexte budgétaire de plus en plus contraint, ces deux propositions ont réussi l'exploit d'escamoter toute réflexion sérieuse sur le poids des dépenses publiques, et la nécessité de s'y attaquer urgemment, sous peine de laisser filer une dette dont les clignotants - charge explosive des intérêts , hausse des taux obligataires, mises en garde des agences de notation - sont en train de virer au rouge. Houdini n'aurait pas fait mieux......

et du choc démographique qui s'annonce

Dans un post LinkedIn remarqué, Pascal Quiry, professeur à HEC et coauteur du Vernimmen, la Bible de la finance d'entreprise, s'est attaqué il y a quelques jours à ces mentalistes qui hypnotisent les foules : il a simulé, en vrai, les effets de la "taxe Zucman" sur bioMérieux, l'un des rares fleurons familiaux dont la France peut encore s'enorgueillir dans le domaine de la santé. Le résultat est confondant. Sur la base des chiffres réels publiés l'an dernier, la famille fondatrice, qui détient 59 % d'un capital valorisé 13,5 milliards d'euros en Bourse, devrait régler 159 millions d'euros au titre de la "taxe Zucman". Comment faire ? Céder des actions ? Il lui faudrait alors en vendre l'équivalent de 227 millions, pour pouvoir s'acquitter en même temps d'un autre impôt, celui sur les plus-values. A raison de 1,7 % du capital ainsi lâché chaque année, les Mérieux auraient tôt fait de passer sous la barre des 50 % et de ne plus être maîtres chez eux.

L'autre option consisterait à faire bondir les dividendes de 100 millions d'euros - le montant effectivement versé en 2024 - à... 386 millions. Conséquence : pour combler la différence, l'entreprise, car il s'agit bien d'elle ici, et non de la famille, devrait faire une croix sur ses 169 millions placés en trésorerie, en vue d'investissements futurs, et emprunter les 117 millions manquants. De quoi plomber toute perspective de développement. "Qui veut tuer à petit feu, par inconséquence ou incompétence, les entreprises françaises, start-up ou non, détenues en partie ou en totalité par leurs fondateurs ?", s'interroge Pascal Quiry. Dans les colonnes du Sunday Times, Bernard Arnaulta pris moins de gants, en ciblant nommément Gabriel Zucman, l'économiste vedette de la gauche . "Il ne s'agit ni d'un débat technique ni économique, mais bien d'une volonté clairement formulée de mettre à terre l'économie française", s'est insurgé le patron de LVMH.

Au-delà du sort fiscal réservé aux milliardaires, une inquiétude plus sourde monte chez les observateurs du tissu familial français : celle du choc démographique qui s'annonce . D'après une enquête de référence publiée en septembre 2023 par le lab de Bpifrance, un dirigeant de PME et d'ETI familiale sur quatre a plus de 60 ans, et un sur dix plus de 65 ans. Dans la décennie à venir, plus d'une PME et ETI sur deux se trouveront en situation de transmission, soit trois fois plus qu'au cours de la précédente. Leurs patrons s'y sont-ils préparés ? Pas vraiment : 36 % des dirigeants de plus de 70 ans n'ont toujours pas formalisé de plan de succession. Le chiffre monte à 47 % chez les 60-69 ans et à 77 % chez les 50-59 ans. "À des degrés divers, tous s'exposent à un risque de blocage ou de perte de contrôle de leur outil familial", alertent les auteurs de l'étude. Des chefs-d'oeuvre en péril dont on ferait bien de se préoccuper, tant ils participent au patrimoine économique français.

 

                                                                                                                                                                          rédigé par  Maximo Tuja